Soudan : le combat pour la liberté de la presse

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Written By Laurent

 

 

 

 

 

Le métier de journaliste est représenté à bien des égards : ils vont de ceux qui par commodité répandent des mensonges en faveur du pouvoir, à ceux qui mettent leur vie en jeu pour la recherche et la diffusion de la vérité. Au fil des ans, la communication journalistique, également aidée par l’information mondialisée, a connu des « adaptations fonctionnelles » continues, qui ont anéanti l’éthique professionnelle et exalté l’opportunisme. On perçoit au quotidien, voire globalement, ce qu’est « une presse non objective ! et souvent esclaves du pouvoir, capables de manipuler une partie substantielle de la masse. Mais la veine éthique du journaliste, parfois, est souvent plus exaltée là où la liberté fait clairement défaut ou est absente.

On voit par exemple qu’au Soudan, pays tourmenté depuis des décennies par un système dictatorial pesant, est né un syndicat de journalistes qui mène une bataille à la fois contre le régime et contre la « presse du régime ». En effet, le premier syndicat indépendant de journalistes a fleuri dans l’Etat du Sahara oriental, après trente-trois ans de bâillonnement de la presse imposé par le dictateur Omar Al-Bashir.

Ainsi, le 29 août – à Khartoum – les membres du nouveau syndicat ont officialisé cette nouvelle organisation avec emphase et espoir. Désormais, les opérateurs de l’information – les professionnels – vantent ce grand pas fondamental pour la construction d’un État civil et peut-être plus libre. Depuis 1989, après le coup d’État d’Omar Al-Bashir, les journalistes soudanais disposent pour la première fois d’un syndicat indépendant pour défendre une profession violée et réprimée sous l’ancienne dictature. Et qui doit maintenant composer avec la puissance militaire issue d’un nouveau coup d’État. Samedi 27 août, Abdel Moneim Abou Idriss, 56 ans, correspondant de l’Agence France Presse (AFP) à Khartoum, a été élu à la tête du syndicat autonome par 1 314 journalistes soudanais, résidents au Soudan et émigrés à l’étranger. L’association compte aujourd’hui 39 membres.

En 2019, la révolution au Soudan a permis la déposition d’Omar Al-Bashir, mais jusqu’à présent, ils n’ont pas réussi à organiser ce qui sera les premières élections libres depuis plus de trois décennies. Mohamed Abdelaziz, membre du nouveau syndicat des journalistes soudanais, a déclaré : « C’est un grand pas vers la construction de l’Etat civil et démocratique auquel aspirent les Soudanais ». Il est évident qu’après un long temps, pendant lequel les journalistes libres n’ont pas été journalistes, il faudra reforger les esprits dans l’éthique de la profession.

Toute une génération de journalistes a été contrainte d’oublier son métier pour survivre à une dictature qui les a réduits au silence. Je me souviens qu’Al-Bashir, après avoir renversé Sadeq Al-Mahdi, le dernier chef du gouvernement soudanais démocratiquement élu, avait dissous tous les syndicats, y compris celui des journalistes. Pendant la dictature d’Al-Bashir, une seule association de journalistes avait l’autorisation d’exister et c’était celle inféodée au gouvernement, qui continue toujours de diffuser des communiqués de presse, dont le dernier dénonce le nouveau syndicat comme « illégitime ».

Pendant les trois décennies de dictature militaro-islamique, de nombreux journalistes ont été emprisonnés, des rédacteurs de journaux confisqués parce qu’ils étaient jugés non alignés avec le régime. Fin 2018, le peuple soudanais a commencé à se rebeller, au nom de la liberté, de la justice et de la paix. Le peuple soudanais, après avoir payé un tribut avec des milliers de blessés, des arrestations massives – dont plus d’une centaine de journalistes – et près de trois cents morts, a réussi à déposer Béchir ; un gouvernement civilo-militaire a pris le relais.

Après quatre mois d’affrontements et lorsque des civils sont arrivés au pouvoir, la télévision d’État a continué à couvrir les émeutes et les manifestations, mais entre-temps, certains médias privés ont pu, après beaucoup de silence, s’aventurer dans le traitement de questions politiques.

Depuis lors, les Soudanais ont pu lire dans les journaux des éditoriaux critiques contre le pouvoir et le gouvernement. Mais près d’un an après le dernier coup d’État mené par le général Abdel Fattah Al-Burhane, chef de l’armée et désormais seul aux commandes, lorsque les militaires ont forcé les journalistes des médias soudanais à quitter leurs bureaux en désactivant toute la bande FM, les craintes d’une nouvelle mutilation de la liberté de la presse ont été ressuscités.

Soudan : le combat pour la liberté de la presse

L’Observatoire Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme, en abrégé Euro-Med Monitor, a enregistré d’octobre 2021 à mars 2022 55 attaques – dont des arrestations, des intimidations, des agressions physiques, des perquisitions dans les rédactions – contre des journalistes ou des médias soudanais.

Cependant, sous le chantage de bloquer toute forme d’aide au Soudan, parce que c’est l’arme utilisée par l’ONU contre Al-Burhane, le putschiste a dû donner la parole à au moins quinze radios auparavant réduites au silence par le régime, car elles communiquaient gratuitement avis. Une victoire ? Non. La partie est encore loin d’être gagnée.

Aujourd’hui le Soudan est classé 151ème sur 180 dans le classement accrédité sur la liberté de la presse édité par l’ONG Reporters Sans Frontières (Rsf). Mais rappelons que, toujours pour la crédibilité de RSF, l’Italie occupe la 58e place du même classement, derrière le Burkina Faso (41e) et la Gambie (51e) et devant le Niger (59e). Ces données pourraient nous faire réfléchir, surtout à la lumière de ces dernières années. On le voit, aujourd’hui le beau pays de la « liberté de la presse » est profondément à l’aise dans l’espace sub-saharien !

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